Bonjour 👋
Nous sommes à l’édition #16 des Mondes de demain, bienvenue aux 6 petits nouveaux qui nous ont rejoints depuis la fois précédente.
En ce moment, le développement personnel me sort par les trous de nez.
Je ne supporte plus les miracle mornings qui recommandent de se lever à 5 heures du matin, les injonctions à “devenir soi-même”, à être tantôt résilient, tantôt bienveillant, et tous les lieux communs qui nous disent qu’on peut tout avoir dans la vie à condition de s’en donner les moyens.
Au-delà de s’asseoir sur des années de recherche en psychologie et en sociologie, ces poncifs cherchent à réduire nos contradictions, alors même que c’est ce qui nous rend profondément humain.
Car oui, j’aime manger des Haribos au goûter et aller nager sous prétexte que ça me maintient en forme.
C’est paradoxal.
Et alors ?
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Et toujours mon site internet qui raconte tout ça, ainsi que mon compte LinkedIn.
Les néo-gourous du temps présent
En devenant indépendante, j’ai ouvert les yeux sur un pan de l’économie qui m’était totalement inconnu : le coaching business B2B.
Pourquoi ? Parce qu’être indépendant est difficile. Trouver des clients est difficile. Se payer correctement est difficile.
Et comme il existe une solution marchande à tout problème (même ceux qu’on n’a pas), on voit pulluler actuellement les coachings qui promettent x3 sur votre chiffre d’affaires en 90 jours, grâce à des (rayer mention inutile) : techniques de prospection incroyables | carrousels LinkedIn inoubliables | réingénierie de votre mode de vie | rééquilibrage nutritionnel conscient | conseils non sollicités.
Il y a très peu d’analyses stratégiques là-dedans. À la limite, un niveau de cours d’école de commerce de première année. On est plutôt dans une injonction à la réussite entrepreneuriale basée sur la reproduction de recettes de cuisine.
Et le grand livre de cuisine s’appelle LinkedIn.
Temple des néo-gourous qui vous expliquent ce qu’il faut boire, manger, lire, respirer, écouter, comment passer du temps avec votre femme et vos enfants, passer du temps seul, passer du temps dehors, faire 10 000 pas, faire de la muscu, ne rien faire… Provoquant une uniformisation complète des contenus et des perspectives sur les choses.
Mais ce sont ces mêmes qui vous disent de cultiver votre singularité.
Ce sont aussi les injonctions au nom d’une quête de bien-être (se lever tôt, méditer, manger intentionnellement, suivre vos cycles hormonaux en fonction de la Lune, faire du “deep work” en “monk mode” — le néo-gourou aime les anglicismes.) qui sont susceptibles, en réalité, de provoquer l’extrême inverse. C’est-à-dire une anxiété de ne pas faire assez, de ne pas “être assez”, de ne pas avoir assez de culture, de reconnaissance sociale, de likes, de revenus.
Au fond, cette dictature de la sérénité est surtout une agressivité contre nous-même.
Cette culture du développement personnel est, à mon sens, arrivée jusqu’aux problématiques stratégiques d’entrepreneurs. Je n’ai rien contre les gens qui se forcent à se lever tôt le matin (ça les regarde). Mais comme l’écrivait Julia de Funès :
La rigueur des concepts faisant défaut, la concentration narcissique étant de mise, et les recettes toutes faites délivrées par un tiers, le développement personnel aboutit à une méconnaissance absolue de soi-même.
Je suis plus embêtée de constater que toutes les stratégies se ressemblent, tous les canaux de vente, toutes les newsletters et tous les podcasts se ressemblent.
À la fin, on ne sait plus ce qu’on vend. À peine sait-on ce qu’on like.
L’enfer du personal branding
Il est, par exemple, de plus en plus difficile de faire passer des idées originales sans être constamment dans la mise en scène de soi.
Il existe maintenant des coachs en personal branding (comprendre “marque personnelle”) car pour vendre un produit, vous allez d’abord vendre votre image. C’est encore pire si vous vendez un service.
Pourquoi ? Parce qu’il faut que le client ait confiance. Comme si on achetait une Citroën parce que le doux visage de Carlos Tavares nous rassurait.
Si vous ne cédez pas à la mode des selfies, vous allez alors céder à l’injonction de la création de contenus. Vous avez un savoir-faire ? Il faut le dire ! Notre époque est désormais biberonnée à l’influence.
Quoi de mieux, pour cela, que de poster tous les jours sur les réseaux sociaux, même quand on n’a rien à dire ? Même quand on est fatigué ? Même quand on sait que l’on parle pour combler un vide ? Il y a même une injonction supplémentaire si vous êtes une femme : vous devez prendre la parole. Quitte à ne plus donner aucune valeur à ce geste pourtant historiquement fort.
Et ce n’est pas faux. Dans une société cacophonique, la visibilité attire le chaland. Les marchands de poisson sur les marchés l’avaient compris bien avant les réseaux sociaux.
Je suis moi-même paradoxale : je n’ai jamais tant publié en ligne depuis que j’ai créé mon entreprise.
Parce que, comme pour les universitaires, l’univers entrepreneurial s’est doté d’un publish or perish, c’est-à-dire d’une croyance qui induit que pour exister, il faut publier. Mais pas publier un contenu validé par des pairs. Oh non ! Il faut publier sur les réseaux sociaux à tout prix, à tout va, à tour de bras. Même en piquant le contenu des autres, leurs photos, leurs concepts ou leurs phrases.
Et comme cela ne fonctionne pas toujours bien, on a créé le métier de ghostwriter LinkedIn. Des gens qui vont écrire pour vous, en votre nom, pour définir, aux yeux de l’audience, qui vous êtes. Des gens qui vont vous écrire. Encore pire quand vous utilisez une IA (oui, cela se voit) : vous laissez votre identité numérique être construite par un algorithme.
Vous vous développez sans vous appartenir.
Paradoxal, non ?
Se faire étoile plutôt que supernova
L’autre marotte des solopreneurs est le “build in public”, comprendre le fait de “construire en public” son entreprise. Documenter publiquement (donc sur les réseaux) vos actions, vos réussites, vos échecs, où vous en êtes dans votre parcours etc. Une forme d’hyper-communication pour trouver vos clients.
Avec généralement un peu d’hypocrisie, qui consiste à mettre en avant les réussites et transformer les échecs en “leçons de vie”. Combien de publications façon “Les 10 choses que j’ai apprises en (insérer ici échec relatif)”. C’est du même niveau que citer 3 défauts dans un entretien d’embauche, dont l’un serait nécessairement “je suis exigeant”.
Ceux qui aiment l’art (c’est mon cas) auront probablement un peu la nausée.
La beauté d’une danseuse étoile tient dans sa capacité à nous faire croire que sa légèreté, son élégance et son sourire sont simples. Et puis un jour, vous mettez un pied sur une barre et vous vous rendez compte que c’est l’enfer sur terre. Et vous mesurez les heures de répétition derrière.
Les coulisses existent pour protéger la création. Ils entretiennent un mystère, autorisent le tâtonnement et sont un espace rassurant pour l’artiste ou l’entrepreneur.
Y renoncer, c’est surtout perdre un espace de liberté créative, car le regard de l’autre se fait, que vous le vouliez ou non, tribunal.
Alors commence le paradoxe : “on s’en fiche du regard des autres”. Mais le soir, vous consultez votre nombre de likes et avez l’impression de perdre en valeur si vous n’en avez pas assez.
Mais ce n’est pas parce que la sueur est cachée qu’elle n’a pas de valeur.
Dans un monde où la surexposition est légion, je préfère être une danseuse étoile qu’une supernova.
Le paradoxe est mort, vive le paradoxe !
Je n’ai jamais cédé aux sirènes du “build in public”. Ce qui se passe dans mon bureau reste dans mon bureau. Ce que vous voyez ou lisez est souvent le résultat de plusieurs heures de travail. La sueur a été épongée avant livraison.
Mais comme tout entrepreneur, j’ai cédé aux sirènes de la marque personnelle. Et j’aime ça. Chaque like provoque un shoot de dopamine dans mon cerveau, les commentaires positifs rassurent mon syndrome Hermione Granger, et un sentiment étrange m’habite quand on me dit “oui, c’était dans ta dernière newsletter”. Même si, je le confesse, j’ai horreur qu’on me parle de mes publications LinkedIn dans la vraie vie.
Et puis parfois, j’oublie.
Je m’y désintéresse — exactement ce qu’il ne faut pas faire. Comme ma dernière newsletter qui est partie sans les traditionnels liens “minute pub” sur lesquels personne ne clique jamais (oui, je vous vois!). Alors à quoi bon prendre ce temps à écrire, si on ne convertit pas ce temps en argent ?
Cela me rappelle que j’ai commencé cette newsletter pour le goût de l’écriture et du partage, et moins pour vendre quelque chose. Mais il n’y a pas de fausse pudeur à affirmer que l’on écrit avec le désir d’être lu.
La culture entrepreneuriale est pleine de paradoxes : travailler beaucoup mais profiter plus, gagner plus mais travailler moins, réduire son empreinte carbone mais voyager beaucoup, rester modeste mais se mettre en avant, prendre la parole même pour ne rien dire, ne pas écouter l’avis des autres mais ne croire que son client. J’en passe des meilleures.
Une psy m’a dit un jour qu’il fallait savoir se foutre la paix. C’est le meilleur conseil entrepreneurial que j’ai reçu ces derniers temps.
Depuis, je mange mes Haribos en paix et fais attention à ma santé. Je ne mets pas de réveil le matin et suis productive dans mon travail. Je limite mon exposition et continue de prendre la parole. Je donne l’illusion que cela peut être facile quand ça ne l’est pas. Embrasser le paradoxal, c’est accepter une existence faite de “et” et non de “ou”.
Je ne cherche pas à résoudre mes paradoxes. Je cherche à vivre avec.
Ce n’est pas la clé de la réussite garantie pour 99€ en 90 jours. Ça ne fait pas de likes. Et ça ne rend pas spécialement riche. Mais ça fait du bien.
Au fond, la vraie singularité est dans l’acceptation de nos paradoxes.
Et n’oubliez pas de vous foutre la paix.
À dans quinze jours,
Pauline
PS : faites battre le petit cœur juste tout en bas de cet e-mail ou laissez un commentaire si ça vous a plu ❤️ C’est bon pour mon ego.
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Pour aller plus loin
Développement (im)personnel : le succès d’une imposture, essai de Julia de Funès
Uniques au monde, superbe essai de Vincent Cocquebert
Montrez votre travail, livre du pape du “build in public”, Austin Kleon. Je ne suis pas d’accord :)
La distinction, BD géniale de Tiphaine Rivière, d’après les travaux de Bourdieu (non, on ne peut pas tout avec seulement de la volonté)
La Coda de l’acte III du Lac des Cygnes : considéré comme l’un des pas les plus difficiles dans un ballet. Regardez-moi ces 32 fouettés !
Je ne peux qu abonder dans ton sens, c ca n a plus aucune valeur ce personal branding jusqu a la nausée et ces faux conseils de vie. Mais toi par contre , continue à écrire surtout ! C est toujours un plaisir de te lire ;)
Bravo Pauline. Tes paroles/pensées/analyses sont as usual très pertinentes (Manque just un petit « ego » mentionné concernant ceux dont tu parles.).
L’expression « se foutre la paix » je la trouve un peu vulgaire/grossière, je préfère « Fais ce que tu veux! »