Bonjour,
Nous sommes à l’édition #57 d’Aligné, bienvenue aux 21 petits nouveaux qui nous ont rejoints depuis la fois précédente.
La référence à Corneille n’est pas un hasard dans le titre : l’entrepreneuriat, parfois, mieux vaut en rire.
Plus j’avance, et plus j’observe l’immense miroir aux alouettes qui nous entoure. Pire, je découvre ma naïveté parfois, dans ce qui aurait pu être une immense pièce de théâtre.
Le solopreneuriat est-il la plus grande illusion comique du moment ?
🎭 C’est mon thème du jour

C’est l’histoire d’un mec
Ayant passé des années à m’intéresser plus au CAC 40 qu’aux entrepreneurs stars, je dois confesser que je tombe parfois des nues face à des histoires qui n’ont rien de récent.
Il était donc une fois Anthony Farrer, entrepreneur américain. Après plusieurs années de galère et passionné par les montres de luxe, Anthony décide de se lancer dans le business. Il achète sa première montre en 2017, la revend avec une marge puis enchaîne jusqu’à pouvoir quitter son job alimentaire. Il crée alors The Timepiece Gentleman, une entreprise spécialisée dans la revente de montres de luxe (Rolex and co, ne me demandez pas plus, je n’y connais rien).
Grâce aux réseaux sociaux, Anthony devient influenceur horlogerie, gagne des 1000 et des 100 et s’installe dans un penthouse à Los Angeles. Sur Instagram, il vit la grande vie : montres de luxe, voitures de luxe, hôtel de luxe, la totale.
Problème ? En réalité, Anthony n’a pas un rond.
Les montres qu’il vend sont déposées en dépôt-vente et l’argent de la vente ne retourne jamais au propriétaire. Il sert à financer un train de vie délirant qui permet de montrer aux yeux du monde qu’Anthony a du succès.
En 2024, il poste une vidéo où il finit par avouer la vérité, déclarer qu’il a plus de 5 millions de dette et qu’il n’en dort plus la nuit (no shit, Sherlock). Il y a quelques mois, il a été condamné à environ 6 ans de prison.
Cette histoire m’est revenue en tête lorsque sur les réseaux, j’ai vu passer une vidéo de passants se moquant d’une influenceuse en train de faire les poubelles devant une boutique Chanel, avant de se prendre en vidéo avec un sac en carton vide, comme si elle sortait d’un moment shopping wild.
Des exemples comme ceux-ci, il en existe des centaines.
La grande illusion
Les arnaques entrepreneuriales ne sont pas neuves. Entre Elizabeth Holmes et ses gouttes de sang, Anna Delvey et les beaux-arts (“inventing Anna”), Billy McFarland et le Fyre Festival qui n’eut jamais lieu… Netflix adooore les histoires d’arnaqueurs entrepreneurs.
Ce qui m’interroge, ce n’est pas tant l’arnaque spectaculaire et la culture toxique du fake it until you make it, mais plutôt la manière insidieuse dont la mise en scène s’est glissée dans les pratiques quotidiennes du solopreneuriat.
Entre la fraude à plusieurs millions et l’indépendant un peu mal à l’aise avec ses réels, il y a une continuité plus qu’une opposition : celle d’un système qui valorise l’image avant tout.
On n’en est pas tous à escroquer cinq millions de dollars ou à dormir dans un sac Chanel vide, mais soyons honnêtes : qui n’a jamais enjolivé une réussite, exagéré un lancement, travesti une photo de bureau en home office Instagram-compatible ? Qui n’a jamais failli confondre storytelling et mensonge ?
Pas plus tard qu’avant-hier, je lisais un post LinkedIn qui commençait par “tous ces entrepreneurs qui ont fait + 1 million de CA ont comme point commun…” Problème, je connais les personnes en question, et elles n’ont soit jamais fait 1 million (et y a pas de mal à ça), soit il faut tirer par les cheveux et cumuler leurs bilans depuis 10 ans. LinkedIn est plein de ces petits arrangements avec le réel.
C’est ce que raconte Anthony Ferrer : “I got a little taste of success and never wanted to forget that feeling.” Quand on met les lèvres dans la coupe de la réussite, on a envie de la boire jusqu’à la lie.
Cela crée une forme de dissociation étrange. Dans “Hypnocratie” (super livre au passage), Jianwei Xun (pseudo, l’auteur n’existe pas) parle de rituels collectifs pour alimenter la construction de réalités alternatives. On est en plein dedans.
Beaucoup des entrepreneurs indépendants que je croise au quotidien luttent contre cette réalité alternative et doutent en silence. Non pas de leur capacité à bien faire leur métier, mais de leur capacité à le rendre visible, parce qu’ils refusent instinctivement les codes de cette exposition permanente.
Ils n’ont pas envie de se filmer, de poster tous les jours, de répéter inlassablement une “full valeur” comme un slogan. Au mieux acceptent-ils l’exercice de la newsletter, comme façon d’exprimer des pensées souvent nuancées et en mouvement. Tout ceci passant mal dans les formats attendus, ils préfèrent parfois se taire, quand ils ne parviennent pas à s’obliger.
Le vrai problème de cette illusion généralisée, ce n’est pas qu’elle existe, mais qu’elle agit sur nous. À force de voir les autres performer leur vie, on se demande si la nôtre est assez sérieuse, assez rapide, assez forte.
Hasard du calendrier, ce mois-ci, deux personnes sont venues me chercher des poux sur ma création de contenus. L’une m’accusant de plagiat dans mes newsletters (lol), l’autre m’accusant d’être une business bitch toxique pour moi, autant que pour les autres (on la remercie). Ces messages en disaient beaucoup plus sur leur rapport contrarié à eux sur la création de contenu, que sur le mien.
À force de croire que tout le monde réussit vite, on doute de notre propre lenteur. On préfère se conformer à des formats plutôt que de se concentrer sur ce qu’on voulait dire.
Le coût n’est pas immédiat. Mais à long terme, il est immense : fatigue chronique, perte de sens, sentiment d’absurdité.
Honnêtement, je pensais passer 2025 à construire, et je me rends compte que je suis plutôt en train de déconstruire tout ça.
Je n’ai pas de solution miracle. Je ne propose pas de retour en arrière, ni de pureté alternative. Simplement, une attention plus fine : à ce que nous donnons à voir, et à ce que nous gardons pour nous ; à la scène sur laquelle nous évoluons, et à la personne que nous devenons en la jouant.
Il ne s’agit pas d’opposer la visibilité au sérieux, mais de se souvenir que l’entrepreneuriat, en solo, n’est pas un concours de narrations.
C’est parfois un long travail d’exploration, une lente fidélité à ce qui nous importe, même quand cela ne se traduit pas encore en chiffres ou en likes.
Et c’est précisément pour cela que c’est précieux.
Comme l’écrivait Corneille dans l’Illusion Comique :
Hélas ! Que j'aide bien à m'abuser moi-même !
Je vois qu'on me trahit, et veux croire qu'on m'aime ;
Je me laisse charmer à ce discours flatteur,
Et j'excuse un forfait dont j'adore l'auteur.
À mardi prochain,
Pauline
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Je me rappelle une discussion avec un collègue sur un post Linkedin. L’entrepreneur en question racontait tout sauf la réalité à l’intérieur de son entreprise. Et il m’a dit tu sais, c’est ça la technique « fake it, till you make it ». J’étais estomaquée !
Après débat avec ce collègue, j’ai dû reconnaître, que cela donne plus envie de supporter un business qui brille qu’un business qui a du mal. On adore les success stories.
Peut être aussi à nous de changer notre perspective sur le mot « succès »
Et où trouver l’équilibre
Entièrement en phase ! Les réseaux sociaux ont hélas contribué à renforcer cette illusion, et c'est un piège dont il faut prendre conscience le plus tôt que possible 🙌