Ni Dieu ni boss ! Les ambitions des déserteurs d'open space
#2 Le solopreneuriat, ou la naissance d'une contre-culture dans le monde du travail
Bien le bonjour 👋
Je suis ravie de vous accueillir dans cette édition #2 des Mondes de Demain.
Bienvenue aux 55 petits nouveaux qui nous ont rejoints depuis la précédente édition !
Dans cette édition, un peu moins de littérature, mais une réflexion autour d’une figure émergente dans le monde du travail : les solopreneurs. Ce sont des déserteurs d’open space qui créent leur entreprise, en quête d’une liberté quasiment utopique.
Si vous êtes arrivé par hasard sur ce contenu, vous pouvez vous abonner pour ne pas rater les prochains ⬇️
Temps de lecture : 6 minutes
On ne se connaît pas encore ?
Je m’appelle Pauline Alessandra et après 8 ans entre grand groupe et start-up, je suis devenue consultante indépendante en transformation. Je construis des plans de transformation qui améliorent la performance des entreprises. Je suis également doctorante en management.
Vous pouvez découvrir mes prestations de recherche et de conseil sur mon site. Les formations arrivent bientôt !
Au programme : qui sont les solopreneurs et que changent-ils au monde du travail ?
Le solopreneur : un indépendant en recherche de croissance
Faire de sa personnalité une marque, et de sa marque un mode de vie
La naissance d’une contre-culture de l’entrepreneuriat
Les limites d’un modèle potentiellement toxique
Let’s go ⬇️
Solopreneur : un indépendant en recherche de croissance
J’adore la définition de l’indépendance dans le Larousse : “libre de toute dépendance, qui ne veut être soumis à personne.” Cela donne le la — comme si le freelance était d’abord celui qui fuit une soumission existentielle : celle d'un employeur.
Freelance, indépendant, solopreneur… Synonymes ou presque, c’est au dernier que j’aimerais consacrer cette réflexion.
Un solopreneur est un entrepreneur seul et qui cherche à le rester. Par définition, il n’a donc pas d’employé. C’est un indépendant à la fois patron et main d’oeuvre, à la fois col blanc et col bleu de sa propre organisation.
Pourtant, contrairement au freelance, le solopreneur a pour lui deux choses : d’abord, il utilise Internet comme principal levier de croissance. Ensuite, il cherche le Saint Graal du freelance : le scaling, c’est-à-dire le passage à l’échelle, la capacité à croître de manière exponentielle un chiffre d’affaires, mais sans recruter.
« M’enfin Pauline, scaler, c’est impossible pour un freelance » pourrait-on me rétorquer.
Faux !
La (forte) croissance d’un solopreneur repose sur la dissociation de son temps et de ses revenus. Il s’agit de sortir de la logique du TJM (taux journalier moyen), donc de la vente de temps, pour vendre des promesses de résultat, des systèmes ou des packages (exemple : une formation digitale asynchrone, une prestation de services au résultat etc.)
Le principe est simple : parvenir à offrir différentes gammes de services avec un ticket d’entrée asynchrone accessible, et valoriser (chèrement) une offre synchrone. Le solopreneur a donc ce paradoxe génial : il se vend lui-même tout en vendant le minimum de son temps.
Faire de sa personnalité une marque, et de sa marque un mode de vie
Le solopreneur n’a généralement pas de marque autre que son nom. Les plus connus dans l’écosystème français (Nina Ramen, Thibault Louis, Maud Alavès, Caroline Jurado pour n’en citer que quelques-uns) ont tous construit leur marque d’abord autour de qui ils sont, puis de leurs compétences dans un second temps. Leur nom, c’est leur marque.
En somme : pas de logo, pas de page “entreprise” sur LinkedIn, pas de marque entreprise. Sorte d’influenceur business, le solopreneur fond son entreprise dans son identité. Il est littéralement son entreprise.
Mais quand on est son travail, comment débrancher pour partir en week-end ?
Réponse : les solopreneurs ne débranchent pas, parce que leur entreprise est devenue un lifestyle. C’est l’autre grande particularité du solopreneur : il n’adopte pas un métier mais un mode de vie. Avec la liberté comme valeur cardinale, ce n’est pas un hasard si beaucoup d’entre eux sont digital nomad et travaillent quand ils le souhaitent, partout sur la planète.
La naissance d’une contre-culture
Le chercheur Anthony Galluzzo, dans son dernier livre Le Mythe de l’Entrepreneur (que je recommande chaudement), explique combien notre vision de l’entrepreneuriat est construite autour de grands mythes : l’entrepreneur est un créateur sorti de son garage, génie visionnaire, héros qui sort l'humanité de sa torpeur et lui permet de prendre la route du progrès.
Le solopreneur, lui, est un “punk du web” (selon Thibault Louis) et se construit un imaginaire en opposition à cette culture de l’entrepreneuriat. Le solo se moque de l’univers start-up, de ses levées de fonds, de ses incubateurs ou de sa vulgate en franglais. Il ne cherche pas à révolutionner le monde, à construire un empire ou à innover au service du progrès. Il cherche à …. gagner sa vie pour (mieux) vivre. C’est aussi “l’épicier du web”.

Pour autant, ce qui semble se bâtir comme une contre-culture de l’entrepreneuriat (ou plutôt, pour être exacte, une subculture, c’est-à-dire une culture particulière qui n’est pas la culture dominante) en reprend parfois ses codes : obsession de la création, articulation d’un ennemi commun (ici, le manager médiocre dans un open space de grand groupe) et hyperpersonnification. Il y a une théâtralisation du solopreneur dont la scène de théâtre n’est pas un incubateur parisien réputé ou un réseau de Young Leaders, mais LinkedIn. Les dîners parisiens sont devenus la quête de likes (donc de visibilité) sur le réseau social.

Un modèle potentiellement toxique
Je mettrais à la vision romantique du solopreneur rentable et libre quelques limites importantes.
Il faut une (très) haute qualification : devenir solopreneur à succès demande des compétences clés de stratégie, marketing et de communication. En plus de l’expertise que vous vendez. Ce n’est pas un hasard si les solopreneurs influents vendent généralement des prestations de marketing et communication. Il faut être capable de mêler de manière très étroite savoir-faire et faire savoir.
Les débuts (et le milieu) peuvent être très précaires : le premier financeur d’un solopreneur est généralement… Pôle Emploi. Pour quelques rock stars, combien de coachs en galère, de consultants sans client et de retour, après un an ou deux, au salariat ? Combien capables de tenter l’aventure seulement parce qu’un.e partenaire fait tourner le foyer… comme salarié d’un grand groupe ?
Un manque de protection sociale : exit, les mutuelles, prévoyances, assurance automatique, retraite assurée… En cas de pépin, s’il n’a pas anticipé, le solopreneur, malgré un beau chiffre d’affaires, se retrouve souvent sans revenu pour assurer ses arrières. L’arrêt maladie, ça n’existe pas. Et anticiper, c’est, d’une certaine façon, réduire ses marges. La culture de l’exposition du chiffre d’affaires sur LinkedIn fait oublier la réalité des revenus (après charges et impôts) réellement sur le compte bancaire.
Burn-out assuré : la culture du solopreneur peut être toxique. Gérer une forte croissance en solitaire est impossible et tous les solo à succès l’admettent. Ils emploient d’autres freelances pour les aider, ou finissent par créer des agences plus traditionnelles et embauchent. La success story du solopreneur moins cool que l’entrepreneur de start-up, mais plus performant, est elle aussi… un mythe !

Que conclure ?
Les solopreneurs à succès ont souvent une vision stratégique affûtée et maîtrisent parfaitement les codes du web. En cela, ils ont beaucoup à nous apprendre. À l’inverse, le “solo” est un mythe, car très rares sont ceux qui travaillent vraiment seuls.
Les indépendants sont généralement membres de collectifs, de communautés, ils s’emploient et se coachent entre eux, se font travailler mutuellement. Le terme à la mode confond ainsi solitude et indépendance.
Enfin, les solopreneurs ne changent pas l’entreprise. Ils sont plutôt le reflet de tendances de fond dans notre rapport au travail : indépendance, télétravail, gestion du temps, durée des missions, des lieux de travail etc. Sur le continuum du besoin de flexibilité, ils sont un passionnant extrême.
Ils rappellent que travail et sentiment de liberté sont une équation complexe, où la vérité révélée n’existe pas.
Certains diront que la liberté est un objectif ultime. D’autres qu’elle a un coût trop élevé.
Je rajouterais aussi que parfois, elle n’a pas de prix.
Je vous dis à bientôt,
Pauline
PS : on n’oublie pas de faire battre le petit cœur juste tout en bas de cet email si ça vous a plu. ❤️
Pour aller plus loin
Le mythe de l’entrepreneur d’Anthony Galluzzo, qui a servi de tremplin à cette réflexion personnelle
Humus de Gaspard Koenig, pour comprendre les arcanes du parisianisme de start-up
The Social Network, un film sur la création de Facebook, bonne illustration du mythe de l’entrepreneur
Les comptes LinkedIn des solopreneurs mentionnés : Nina Ramen, Thibault Louis, Thomas Ryvol, Maud Alavès, Caroline Jurado
Passionnant comme toujours, un (grand) saut de côté et sans tabou... merci Pauline de ces neurones secouées dès potron-minet !