Sur les épaules de géants : travailler et faire une thèse en même temps
#20 ou les coulisses d'une expérience pas si originale
Bonjour 👋
Nous sommes à l’édition #20 des Mondes de demain, bienvenue aux 30 petits nouveaux qui nous ont rejoints depuis la fois précédente.
Vous êtes un certain nombre à être arrivé ici après l’annonce de la fin de ma thèse. Pour ceux qui l’apprendraient ici : ça y est, ma thèse est déposée ! Il reste encore l’étape cruciale de la soutenance en septembre. Mais il s’agit du dernier sprint après bientôt quatre ans de travail.
En attendant, et parce que j’ai reçu par e-mail plein de questions sur la thèse et la compatibilité de l’exercice avec une vie en parallèle, je fais exceptionnellement une édition spéciale “vivre avec un doctorat”.
Peut-on travailler et faire un doctorat en même temps ?
Quels sont mes secrets pour avoir évité le burn-out ?
Ai-je vraiment l’impression d’écrire ces phrases comme une page Doctissimo ?
💊 Ce sont mes thèmes du jour.
🤝 Quand ça sera le bon moment pour vous, nous pouvons travailler ensemble
Voici les trois options qui s’offrent à vous.
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Pourquoi s’emmer*** à faire une thèse quand on gagne déjà sa vie ?
La question est triviale, mais je pense que ça serait faire preuve d’une pudeur de gazelle que de la poser autrement.
La thèse est une succession de problèmes. On travaille comme un fou sur un micro-sujet dont on devient l’expert mondial, on pond entre 300 et 500 pages qui seront lues par moins de personnes que vous avez de doigts sur la main, le tout pour un titre de “Docteur” qui rendra vos parents fiers et fera rire vos amis car vous serez toujours incapable de faire un pansement.
Souvenez-vous de cette scène dans Friends et du Dr Ross. Je ne m’en lasse pas.
C’est une chose de se lancer en doctorat à la fin de son Master, quand on a adoré les cours de recherche et qu’on n’est pas encore inséré “dans la vie active”.
La démarche est tout autre quand on est déjà en poste.
À la première question : peut-on travailler et faire une thèse en même temps ? La réponse est oui.
Et je suis loin d’être une exception : c’est le principe des thèses dites “CIFRE” (Convention Industrielle de Formation par la Recherche). Ces thèses sont co-financées par des entreprises (l’entreprise devient alors le terrain d’étude) avec un emploi du temps aménagé : généralement, 3-4 jours en entreprise et 1-2 jours en laboratoire.
Non seulement il est possible de travailler en faisant une thèse, mais beaucoup de doctorants le font déjà. C’est l’image d’Épinal du doctorant rat de bibliothèque, geek et asocial qui donne l’impression que ce n’est pas possible.
La subtilité, dans mon cas, est que j’ai fait une thèse hors convention industrielle, car je n’étais pas éligible à une CIFRE. L’entreprise ne m’a donc pas donné de temps libre et ne m’a pas financée.
Le coût a donc été double : des frais de scolarité annuels et du temps à prendre dans ma vie personnelle.
À ce stade, sauf goût masochiste affirmé, vous êtes en train de vous demander : mais pourquoi ?
L’obsession d’une question sans réponse
On ne commence pas une thèse à 30 ou 40 ans sans avoir une question viscérale qui vous obsède. Du moins, c’est ma conception de la chose. D’autres le feront pour un titre, une accélération de carrière ou pour se prouver quelque chose — comme certains font de l’ultra-trail ou du saut en parachute.
Moi, je l’ai fait par goût de l’obsession intellectuelle.
J’ai commencé à travailler chez Air France en 2016, à l’époque où Greta Thunberg portait déjà des nattes, mais était encore trop jeune pour que sa voix porte. Quelques années plus tard, elle faisait la une des journaux et le transport aérien était pointé du doigt pour ses émissions de CO2.
J’ai pris ça comme un signal d’alerte assez fort, mais que je ne comprenais pas. Etais-je en train de travailler pour le cousin de Marlboro sans le savoir ?
Voilà comment a commencé ma thèse : sur une interrogation toute personnelle, pour laquelle je n’ai pas trouvé de réponse susceptible de me satisfaire. Alors je suis allée la créer moi-même.
Ma conviction est qu’on entre en doctorat avec un sujet qui doit vous obséder, car il va vous obséder pendant plusieurs années.
Et spoiler alert : il n’est pas certain que la question obsède la terre entière avec vous. Ce n’est pas grave, l’important n’est pas là.

C’est à partir du sujet que vous allez ensuite tenter de convaincre un directeur de recherche de vous accompagner dans le grand saut, ainsi qu’une faculté.
En tout cas, ça serait ma recommandation toute personnelle pour vous assurer que la démarche que vous entreprenez est tenable sur le long terme.
Le principe du doctorat : la production de connaissances théoriques
Ne pensez pas vous lancer dans un doctorat pour le titre, en imaginant qu’avec ChatGPT et une question de journaliste, vous allez vous en sortir. C’est faux. Le principe du doctorat repose sur la création de connaissances nouvelles.
Cela signifie que pendant un an ou deux, vous allez tenter de trouver une place dans la littérature scientifique. Cela veut dire passer de loooongues heures à lire ladite littérature pour tenter de voir où la connaissance s’arrête. Si l’on voit la science comme un chemin infini, il faut imaginer le doctorat comme l’épreuve où vous aller trouver un caillou, le tailler, le polir, tenter de l’insérer au bout d’un chemin, pour que d’autres puissent poser leur pied dessus et continuer à avancer.
Voilà : vous allez créer un caillou. Un beau caillou. Mais un caillou quand même. Un caillou qui va être aussi un peu douloureux à produire.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que la connaissance nouvelle est dure à créer. Vous ne pouvez pas faire une synthèse de l’existant, ni raconter votre vie, ni faire une description de vos pratiques professionnelles.
En revanche, vous pouvez prendre ces dernières comme rampe de lancement. C’est ce que j’ai fait. Mais pendant plus d’un an, avec l’aide précieuse de mon directeur de thèse (il n’est pas abonné mais je sais qu’il me lit !), j’ai creusé mon sujet sans… jamais parler d’avion.
C’est paradoxal, n’est-ce pas, pour une thèse conçue sur la question de la honte de prendre l’avion. J’ai exploré le nucléaire, les maisons closes, le cannabis, l’amiante et d’autres secteurs rigolo, pour comprendre comment on passe d’une vision opérationnelle à une conceptualisation théorique. C’est à ce moment que vous découvrez que plus vous en savez, moins vous en savez.
La thèse, c’est aussi l’acceptation d’un vertige. Il faut aimer le vide. Mieux, il faut accepter de l’embrasser et être confortable en sa compagnie.
Si je vais surtout parler de transport aérien quand je vulgariserai ma thèse (c’est un angle de communication que je choisis et assume), la réalité est que, si vous lisez mon titre, l’avion est en tout petit. Pourquoi ? Parce que, justement, ma thèse porte moins sur le transport aérien que sur des mécanismes inhérents aux organisations contestées. C’est ainsi qu’on passe de la pratique à la création de nouvelles connaissances théoriques.
Le coût de l’obsession
Ce que je vous raconte en quelques lignes est le fruit d’au moins deux années de travail de fond. C’est un travail laborieux, qui se fait généralement sans bruit et sans fanfare. Un travail de doctorant, en somme.
Tout comme le musicien fait ses gammes, le peintre des perspectives, la danseuse de la barre, le doctorant lit des articles et tente d’en écrire.
Ce travail de répétition a un coût : du temps.
À toutes les personnes qui m’ont écrit pour savoir comment faire une thèse en plus de leur travail, j’ai toujours répondu la même chose : qu’êtes-vous prêt à sacrifier ? Parce qu’il n’y a que 24 heures dans une journée et que le doctorat est un marathon et non un sprint. Au-delà du support familial nécessaire (un conjoint pour vous aider à élever les enfants ? Une famille prête à vous accueillir pour l’écriture ? Un manager qui vous donne des jours de “télétravail” pour vous aider ?), il vous faut créer un écosystème souple, qui comprenne le projet.
J’ai personnellement sacrifié des vacances, des pans de ma vie privée, des voyages. Je n’en parle pas souvent car je ne l’ai jamais vécu comme un sacrifice, mais comme un choix. Mes amis ont toujours compris, ma famille m’a toujours soutenue, bref, j’ai aussi eu la chance de le vivre dans des conditions remarquables.
Mais j’ai aussi galéré. Je me suis sentie nulle plein de fois. Mes papiers ont été rejetés plus que de raison. J’ai eu des migraines, mal aux poignets, je me suis endormie sur un nombre incalculable d’articles. Je n’ai en revanche jamais voulu arrêter. On peut avoir un rapport apaisé à sa thèse et galérer comme tout le monde. Cela fait partie du chemin.
Tout sportif ne finit pas aux J.O.
La clé, pour moi, réside dans le management de ses propres attentes.
Vous avez pour ambition d’être un chercheur reconnu, réputé, de publier souvent dans des revues célèbres ? Ne pensez pas que c’est accessible à mi-temps. Et les chercheurs de votre entourage, un peu agacés de votre légèreté, ne manqueront jamais de vous le rappeler.
Mais si naviguer, comme c’est mon cas, dans des eaux qui frôlent l’excellence sans chercher à la toucher, alors vous serez probablement à votre place. On peut être un très bon athlète sans être aux Jeux Olympiques. Il suffit d’accepter sa propre catégorie.
Et c’est paradoxalement mon job de freelance qui m’a permis de trouver l’équilibre. La difficulté de la situation (quand je cherche des missions comme maintenant, ça n’est pas drôle tous les matins) a été apaisée par la thèse qui donnait du sens à ce temps.
À l’inverse, avoir un travail ancré, pratique, loin de la stratosphère théorique que l’on touche parfois dans la recherche, est ce qui m’a maintenue sur Terre. La thèse a toujours été un bonus dans ma vie, et non pas une fin en soi.
Pour les professionnels qui ne cherchent pas forcément la reconversion, je crois que c’est important. Je comprends vraiment les doctorants qui deviennent dingues au bout de quatre ans, parce que la thèse prend toute la place. L’exercice rend marteau si on n’a pas une vie équilibrée à côté.
J’ai été émue quand j’ai appuyé sur le bouton “déposer” pour rendre le manuscrit, mais je n’ai connu ni sentiment de vide existentiel, ni larmes de crocodile. J’ai été heureuse et fière. Je me suis offert des mochis glacés et j’ai pris ma journée. Le lendemain, la vie normale a repris son cours. Rien n’avait vraiment changé.
Le goût de la curiosité
On m’a beaucoup demandé : “mais comment tu fais ?”
Je confesse que cette question m’a longtemps mise mal à l’aise, et j’ai fini par y réfléchir sincèrement. Mes réponses seraient les suivantes :
J’aime la solitude, ce qui fait que je ne considère pas qu’une soirée passée devant mon ordinateur est une soirée perdue. Et je m’entoure de personnes qui le comprennent. Je dirais que c’est ça, ma secret sauce.
Je n’ai pas de trouble de l’attention. Je peux passer plus de 2 heures concentrée sur la même tâche. Cela demande seulement un peu d’entraînement et une éthique avec son téléphone portable.
Je ne procastine pas et me connais assez pour découper mes tâches en to do list cohérentes que je suis capable de descendre jour après jour.
J’ai choisi un sujet que j’aime vraiment et un directeur de thèse qui a à peu près compris qui j’étais et mes envies/besoins.
J’aime le travail intellectuel. Je n’ai aucun problème à lire, écrire, penser. Je ne considère pas le conceptuel comme du bullshit a priori.
Je mesure mon temps. Dans tout ce que je fais, j’ai un tracker. J’utilise Toggl pour mesurer combien de temps je passe sur mes sujets. C’est très utile pour ma facturation client, mais surtout pour me rendre compte de l’équilibre de mes propres plaques tectoniques. Je connais mes priorités et essaie de m’y tenir.
Je dors 8 heures par nuit et ne bois pas de café :) :) Surtout, je n’ai jamais cessé le reste de ma vie pour la thèse. Je lis des romans tous les soirs, joue du violoncelle et bois des coups avec mes amis comme un être humain normalement constitué.
Une partie relève de la personnalité et de l’éducation, l’autre de l’organisation.
J’aurais bien du mal à me transformer en PhD Gourou susceptible de vous garantir que c’est la recette miracle pour vous lancer.
Mon unique conseil est le choix d’un thème qui vous motive, et de vous assurer que vous avez bâti un écosystème qui vous permet de réaliser votre projet personnel, au même titre que vous auriez pu commencer le violon ou le lancer de javelot.
Je termine avec l’essentiel.
J’ai pris beaucoup de plaisir à faire cette thèse.
Et même si le chemin est pavé d’embûches, de problèmes administratifs, d’ego, de règles implicites à apprendre et comprendre, ça n’a jamais abîmé ce qui est important pour moi : le goût de l’apprentissage et une curiosité dévorante.
Si vous avez des questions plus pratiques sur le doctorat, j’y réponds en commentaire avec plaisir.
À dans quinze jours,
Pauline
PS : j’ai lancé mon compte Instagram pro et vais prochainement me lancer dans la création de capsules vidéos. Vous pouvez me soutenir en vous abonnant @lintellobusiness
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Merci beaucoup pour ces partages Pauline, je suis admirative 😊!