Les licornes aussi vont chez le médecin
#15 ou la nécessité de penser les plans de transformation dans les start-ups
Bonjour 👋
Nous sommes à l’édition #15 des Mondes de demain, bienvenue aux 19 petits nouveaux qui nous ont rejoints depuis la fois précédente.
Il y a quelques semaines, un médecin que je consultais s’est intéressé à mon doctorat, et m’a demandé, un poil moqueur, si j’allais me lever de mon siège quand on chercherait un docteur dans l’avion (merci Jean-Michel Rigolo).
J’ai répondu que mon métier était plutôt de soigner les entreprises, et ceci dans deux cas de figure : quand ça va bien, et quand ça va mal.
J’ai plusieurs fois déjà parlé des cas qui vont mal : les entreprises proches de la faillite ou les come-back kids qui s’en relèvent.
Mais qui sont les entreprises qui se transforment, alors que tout va bien ? Quand il y a de l’argent, des embauches, des perspectives d’avenir et des rêves plein la tête ? Bref, quand tout roule ?
Ce sont souvent des entreprises en forte croissance qui ont du mal à changer d’échelle ; généralement des futures licornes.
Pourquoi quand tout va bien, tout peut aller mal ?
La croissance est-elle une crise d’adolescence ?
Faut-il attendre 6 heures entre deux dolipranes pour une Licorne ?
🦄 Ce sont les thèmes du jour.
“Je vais bien, tout va bien"
Quand on parle de transformation des entreprises, on s’imagine plus volontiers une grosse boîte poussiéreuse, pleine d’employés encravatés dont il faudrait accompagner le passage du fax à Internet. Soit.
On imagine beaucoup moins les hordes de startupers en hoodie à capuche en coton bio, un casque sur les oreilles, devant des ordinateurs dernier cri. Et pourtant, ce sont presque souvent les cas les plus intéressants. Et mes préférés.
Car les entreprises (ou les business units) en forte croissance ont des besoins drastiques de transformation pour les aider à perdurer dans le temps. Même quand tout va bien. Surtout quand tout va bien !
Pourquoi ? Parce qu’elles traversent une vallée de la Mort composée de trois grandes étapes : SCALE - MESS - DEBT.
Décryptage.
#1 SCALE. “Je suis gai, tout me plaît”
Prenons un adolescent et appelons-le Paul.
Paul a environ 12 ans (en âge Licorne, cela peut représenter 4 ans par exemple). Il n’est pas encore un vrai adolescent malgré deux poils au menton, clairement pas un adulte, mais ses vêtements de l’été dernier sont déjà trop petits.
Paul est rentré en phase de “scale”, c’est-à-dire, en bon français, dans une étape de croissance rapide.
Les goûts de Paul changent, ses habitudes aussi (inutile de lui faire regarder un Disney ou de l’amener en tête à tête à la porte du collège) et il a de nouveaux amis.
Surtout, il ignore qu’il entre dans un désert qui risque d’être un peu douloureux dans les années à venir. Sinon, comment lui donner envie de porter son sac à dos tous les matins ?
Voici ce que sont les entreprises en phase de scale : ce sont des entreprises en bonne santé financière, capables de grossir. Leurs agendas sont pleins, les clients arrivent, les recrutements se passent bien, bref, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
#2 MESS. “L’enfer, c’est les autres”
Paul a désormais de l’acné et la voix qui mue. Il a aussi des cheveux gras, l’humeur changeante et parle un nouveau vocabulaire parfaitement insupportable. Sa chambre est un remake de Tchernobyl et s’il a beau avoir une musculature plus marquée, cela détonne avec ce gabarit de gringalet encore un peu enfantin.
Paul est un ado, un vrai. Il est entré dans la phase de “Mess”. La phase bordélique.
L’adolescence d’une entreprise est une période de grand désordre, qui peut vite tourner au gâchis.
On se dit que c’était mieux avant. Que c’était plus simple, qu’il y avait moins de réunions, que les décisions se prenaient plus rapidement, qu’on était une famille unie. Forcément, avec toutes ces nouvelles têtes, ces nouveaux collaborateurs recrutés, ces modes de fonctionnement non unifiés, on s’y perd un peu.
Il y a un vrai changement culturel. On ne sait plus vraiment qui on est et notre identité. La faute à tous ces nouveaux. L’enfer, c’est bien les autres.
Au fond, l’entreprise semble avoir perdu son mojo, c’est-à-dire ce qui la rendait unique, surpuissante, rapide comme l’éclair.
L’information circule mal (bah oui, on ne se retrouve plus seulement à 8 autour de la machine à café), les décisions prennent du retard, on perd en efficacité, bref, la traversée du désert est réelle.
Et on peut se sentir bien seul dans cette phase.
#3 DEBT. “Qui paie ses dettes s’enrichit”
Paul a continué d’avancer malgré tout — c’est un peu l’histoire de la vie.
Mais dans son avancée, il a accumulé quelques soucis : il a pris du poids, n’a pas cherché à changer ses vêtements trop petits et n’a pas vraiment pris soin de sa relation avec ses frères et sœurs, ce qui rend les dîners en famille assez insupportables.
Paul, comme une entreprise en forte croissance, a accumulé des dettes.
Les dettes peuvent être humaines : à force de ne pas prendre soin de vos salariés, ceux-ci se mettent à démissionner, à rechercher une structure “plus agile” (flûte, mais c’était vous l’année dernière pourtant!), où leur potentiel pourrait pleinement s’exploiter (vous étiez pourtant la crème de la crème de l’innovation il y a 8 mois!)
La dette est organisationnelle : votre structure et vos processus de décision sont soit inexistants (et c’est la pagaille), soit ressemblent à une bureaucratie soviétique.
Elle est aussi technique : vous n’avez plus les bons outils pour travailler efficacement.
Elle peut être environnementale : votre croissance peut entraîner en croissance de vos émissions de CO2 et c’est souvent un angle mort des start-ups qui s’annoncent pourtant vertueuses, vertes etc.
Et tout ceci tombe mal car derrière vous, il y a Pierre.
Pierre est une licorne qui a peut-être grandi plus doucement (pas de pic croissance), mais qui a pris le temps de se transformer à chaque étape. Pierre gagne moins, est moins flamboyant et ne fait pas les plateaux de BFM Business.
Mais Pierre est rentable. Et Pierre avance en paix. Doucement, mais sûrement.
Paul, lui, tel un véritable Lannister, doit d’abord payer ses dettes.

#3 TRANSFORM.
La bonne nouvelle, c’est que l’adolescence n’est pas éternelle (dieu merci) et qu’on en est tous sortis.
La mauvaise nouvelle, c’est qu’en entreprise, l’adolescence peut être fatale, surtout si le financement de l’hypercroissance n’est pas impeccablement assuré. J’ai personnellement été licenciée d’une start-up en pleine crise d’ado, je sais combien ce n’est pas une partie de plaisir.
On n’échappe pas à l’ado insupportable qu’on a pu être. Par contre, on peut tenter de faire cette étape un moment court et productif.

C’est honnêtement difficile et sans garantie de succès. Les gens qui vous promettent, à l’adolescence, que vous serez beaux comme une gravure de mode, sont généralement des menteurs, ou vos parents (on appelle ça alors l’amour).
Le reste du temps, cela demande beaucoup d’humilité, de patience, et un énorme travail de remise en question.
Quelles sont les dettes créées ? Ma culture d’entreprise est-elle formalisée ? Mes outils sont-ils à la hauteur des promesses faites à nos clients ? Mes équipes ont-elles les moyens physiques et matériels de progresser ? Ma performance environnementale est-elle si irréprochable ?
Et avec quelques bonnes méthodes, une gouvernance retravaillée et des processus efficaces et clairs, on devient une licorne flamboyante.
Enfin, jusqu’à ce que quelqu’un vous explique que les licornes n’existent pas.
Mais ça, c’est une autre histoire !
À dans quinze jours,
Pauline
PS : on n’oublie pas de faire battre le petit cœur juste tout en bas de cet e-mail ou de laisser un commentaire si ça vous a plu ❤️
Pour aller plus loin
Scale, Mess, Debt : le triptyque expliqué en vidéo
De start-up à scale-up : la newsletter de Mathieu Nebra, le co-fondateur d’OpenClassrooms, avec des vrais morceaux de vie dedans.
The Overlooked Key to a Successful Scale-Up, article Harvard Business Review
Un article HBR sur la dette environnementale des scale-ups.
L’excellente série WeCrashed, le scale raté de la start-up WeWork (à ne pas reproduire chez vous)
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